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Entretien de Simone Kaslowski, Président de la TUSIAD, membre du Comité scientifique l’Institut du Bosphore (Les Echos, 27.11.2020)

Simone Kaslowski: « Les entreprises françaises ne subissent pas de baisse des ventes en Turquie »

Les Echos, Yves Bourdillon, 27.11.2020

 

Simone Kaslowski, le patron des patrons turcs, n’observe pas d’impact des appels au boycott de produits français lancés dans divers pays musulmans, et souligne que la Turquie est peu coutumière de telles pratiques. Il estime par ailleurs que le pays est peut-être sur le bon chemin, avec le changement de cap monétaire.

 

Comment évaluez-vous la situation économique en Turquie, après des mois de crise monétaire ?

La pandémie a durement affecté le déficit des paiements courants turcs, en raison de la chute des recettes touristiques, et fait flamber le chômage, qui était déjà supérieur à 13 % avant le Covid. Pour soutenir l’activité, les pouvoirs publics ont essayé de maintenir les taux d’intérêt à un niveau très bas et mené une politique dite de « quantitative easing », qui a permis de doper la demande en produits industriels mais s’est soldée par une chute de la monnaie et des réserves de la banque centrale. Je ne me hasarderai pas à faire des prédictions sur 2021 en termes de croissance à cause de la pandémie, mais d’ores et déjà le changement récent de gouverneur de la banque centrale et de ministre des Finances laisse présager d’une politique fiscale et monétaire plus orthodoxe et prévisible, ce qui devrait ramener la confiance.

On peut saluer notamment la décision il y a deux jours de la banque centrale de ne plus contrôler totalement le bilan des banques privées via l’instrument dit de l’« active ratio ». Le discours récent du président Erdogan, qui a rappelé la nécessité de poursuivre l’intégration avec les pays européens et s’est engagé à mener de nouvelles réformes économiques, ou en matière d’Etat de droit, me fait penser que nous sommes peut-être sur le bon chemin. La mise en oeuvre de ce qui a été promis est très importante.

 

N’êtes-vous quand même pas surpris par la démission, mardi, du numéro un du conseil présidentiel et compagnon de route de longue date du chef de l’Etat ?

Il y a des dynamiques politiques locales dont il faut tenir compte. Nous avons connu des événements très surprenants, tant positifs que négatifs, ces dernières semaines, mais je crois que la tendance demeure positive, vers plus de dialogue intérieur et de confiance sur les marchés financiers, comme l’illustre d’ailleurs le taux de change de la lire, qui est passé de 8,5 pour un dollar à 7,8 en quinze jours. De même, la prime de risque de la Turquie, le CDS, est passé de plus de 5 % à moins de 4 %, même s’il reste du chemin à parcourir avant d’arriver à un niveau acceptable, que je situerais en dessous de 2 %. Les entreprises turques me semblent aussi armées pour relever le défi du redémarrage économique, notamment du fait qu’elles ont pratiqué ces dernières années une politique de « deleverage ».

 

Les relations entre Ankara d’une part et Paris, voire Bruxelles, Athènes, d’autre part, sont tendues en ce moment. Avez-vous mesuré l’impact des appels au boycott de produits français entendu dans de nombreux pays musulmans ? Craignez-vous des sanctions au sommet européen du 9 décembre ?

La France est notre septième partenaire commercial et il est hors de question de laisser les relations économiques être affectées par des tensions ou des malentendus diplomatiques. Lors de nos contacts informels avec nos membres, nous n’avons pas reçu de rapport faisant état d’un ralentissement de leurs échanges commerciaux en raison de l’aigreur récente des relations politiques. A notre connaissance, aucune entreprise française n’a enregistré une chute de ses ventes en Turquie, à part une, de manière limitée, dans les produits de consommation. D’ailleurs, je n’ai jamais vu de boycott en Turquie envers des produits étrangers ces dernières années, qu’ils soient israéliens, américains, britanniques ou allemands, malgré les nombreux épisodes de tensions diplomatiques.

En ce qui concerne l’Union européenne , j’espère bien qu’elle ne décidera pas de sanctions, qui ne seraient dans l’intérêt de personne, sachant à quel point la Turquie est un pays important, situé stratégiquement et appelé à jouer un rôle de stabilisation dans la région. En plus, si les sanctions marchaient, ça se saurait, on l’a vu en Iran et en Russie. L’absence de sanctions ne suffirait toutefois pas : le statu quo entre l’Union européenne et la Turquie n’est pas satisfaisant, il faut relancer les discussions pour une modernisation du traité d’accord douanier signé il y a maintenant un quart de siècle.